Alain Navarro, tout pour la musique !

Directeur artistique de Pause Guitare depuis vingt-cinq ans, Alain Navarro est avant tout un Albigeois attaché à son territoire, dont il est un véritable ambassadeur. Derrière ce meneur, se cache aussi un homme sensible et passionné.
Alain Navarro Tout pour la musique

Une édition 2020 annulée, la culture à l’arrêt cet hiver, un festival 2021 à jauge limitée… Pas trop fatigué ?

Paradoxalement, j'ai plutôt bien vécu cette période. Les obstacles, les incertitudes, les difficultés, les challenges, c'est ma nature de relever ce genre de défi ; c’est même stimulant. J'ai aussi une certaine capacité de résilience et d'adaptation qui a été, je crois, utile ! La situation met évidemment la pression et il faut savoir encaisser les coups. Envers l’équipe et les bénévoles, je me devais d'être rassurant et de tenir le cap. Ça va ; je suis un combattant !

Avez-vous craint d'annuler cette édition ?

Nous avons été accompagnés et soutenus par l’État et les collectivités. Il aurait été indécent d’annuler cette édition de Pause Guitare. L’option n’a d’ailleurs jamais été envisagée. Nous avons déclaré qu’on irait jusqu’au bout et qu’on s’adapterait. Dès l'automne dernier, nous étions bien sûr dans l'attente des décisions gouvernementales et nous savions déjà que le festival 2021 serait différent des précédents. Nous avons néanmoins proposé très vite des solutions et imaginé plusieurs scénarios. Au final, la jauge des 3 000 spectateurs avec deux artistes par soirée à Pratgraussals, mais aussi une durée de festival plus longue, nous semble un bon compromis, compte tenu de l'obligation d'être assis, des pass sanitaires et des contraintes budgétaires. À l’avenir, il est nécessaire d’être souple. Rien n’est figé.

Dans quel état d'esprit êtes-vous à quelques jours du festival ?

Soulagé. Pendant presque deux ans, nous avons été privés de quelque chose qu'on aime. Nous avons tous hâte de se retrouver pour le festival. La moitié de l'équipe d'Arpèges et Trémolos n'a d’ailleurs pas encore connu l’effervescence du festival et est pressée d’en découdre ! Il y a aussi les 1 300 bénévoles pour lesquels j'ai beaucoup de reconnaissance. Sans eux, le festival n'aurait pas lieu. Ça me bouleverse toujours autant de les voir se mobiliser autour d'un projet commun, faisant fi de leurs différences. C'est une belle leçon de vie. Certes, pour cette édition nous avons perdu les artistes anglo-saxons et quelques autres ; le Off est aussi annulé, mais nous avons réussi à intégrer les artistes dans la programmation. Tous sont contents de venir, beaucoup de festivals n'ayant pas lieu cet été.

Optimiste quant à l’avenir ?

Le milieu des festivals est en crise notamment parce que la concurrence est rude et les cachets d’artistes explosent, ce qui rend le modèle économique fragile. Il faut désormais 95 % de remplissage pour équilibrer le budget. Pause Guitare, c'est plus de cinq millions d'euros*. Une soirée à Pratgraussals, c'est 1,2 million d'euros dont 450 000 euros de cachets. Une place payée 45 euros par le spectateur vaut en réalité 120 euros, les 75 euros restants provenant des partenaires publics et privés. On ne s'interdit rien, mais on doit rester raisonnable, car à chaque édition, rien n'est jamais gagné d'avance.* hors crise sanitaire.

Quid du passage d'Arpèges et Trémolos en Société coopérative d’intérêt collectif ?

Avant le Covid, nous travaillions déjà à restructurer l’association afin de la pérenniser, sachant que ma femme, Annie, et moi étions sur le départ. La meilleure solution était la SIC dans laquelle bénévoles, salariés, collectivités, partenaires et particuliers peuvent apporter leur soutien, s'impliquer et s'approprier davantage le festival. J'aime rappeler que les recettes sont toutes réinvesties dans les actions de l'association. Les billets servent aussi à financer le Off. On est vraiment dans une démarche vertueuse, où le spectateur n’est pas réduit au rôle de consommateur.

Quitter Pause Guitare est-il toujours d'actualité ?

Annie est partie à la retraite en octobre dernier. Marine a bien pris le relais. Pour ma part, j’ai été sur le pont pour traverser cette période difficile qui n’est d’ailleurs pas terminée. Je prépare déjà la transmission en confiant certaines missions à des membres de l’équipe. Après ce que nous venons de vivre, il y a un challenge à remporter et j’ai accepté de le relever. On se projette aujourd'hui sur 2023 avec un format différent et inédit de ce que nous avons déjà proposé. Je suis donc là au moins deux ans.

Comment repérez-vous les futurs artistes ?

Pas par la télévision, que je ne regarde pas, même si j'ai été intéressé par la prestation de Barbara Pravi, deuxième à l'Eurovision cette année. J'apprécie son côté auteur-compositeur, mais il me faudrait plus de contenu pour me faire une idée. Je préfère faire « mon marché » dans les festivals, où je me rends plus de deux mois par an. C'est l'occasion pour moi de rencontrer des artistes et des professionnels. Il y a de belles révélations comme Pomme, Clou, Hervé ou Suzanne. Ces nouveaux artistes ont des choses à dire.

Alain avant Pause Guitare...

J'ai eu un parcours un peu chaotique. L'école ne me convenait pas ; j'étais mauvais élève. J'ai suivi plus tard une formation d'infirmier psychiatrique avant de travailler à Albi comme éducateur spécialisé auprès de jeunes. Je me nourris encore de ce que j’ai appris à cette époque en matière de relations aux autres.

Après cinq ans, j'ai suivi un CAP de menuisier ; je rêvais de fabriquer mes propres meubles. J'ai travaillé ensuite trois ans à Montauban comme infirmier psy puis j'ai eu envie de devenir conducteur de travaux et je me suis à nouveau formé.

J'ai travaillé sept ans dans les travaux publics chez Mallet à Albi. J'ai tenté le concours pour entrer à l’École des Mines, mais on m'a fait comprendre que j'étais trop vieux... à 38 ans ! Cette expérience dans le bâtiment m’a été utile pour me projeter et imaginer, par exemple, l’aménagement de la place Sainte-Cécile ou de Pratgraussals pour le festival.

Et le virage Pause Guitare a eu lieu en 1996... Ma femme Annie cherchait un nouveau travail et nous avons eu l'idée de créer Arpèges et Tremolos. De mon côté, je suis revenu au Bon Sauveur comme infirmier tout en m'engageant bénévolement pour le festival.

Un souvenir de cette époque ?

Le premier concert de guitare a eu lieu le 5 avril 1997 à la collégiale Saint-Salvi. Ça a été une réussite et nous a donné envie de continuer. Nous avons ensuite « atterri » un peu par hasard à Monestiés, où nous avons organisé le festival Pause Guitare jusqu'en 2005. L'année suivante, la Ville d'Albi nous donnait carte blanche pour venir place Sainte-Cécile. L'idée d'une inscription au patrimoine mondial était déjà à l’étude et il fallait montrer qu'Albi n'était pas une ville musée figée.

En 2012, notre installation à Pratgraussals a marqué un tournant car cela nous a permis de passer à la vitesse supérieure. C'est un site idéal. On s'y sent bien, à la fois en ville et à la campagne ; l'ambiance est champêtre. La future passerelle contribuera réellement à ancrer le festival à quelques minutes de la Cité épiscopale et elle nous enlèvera le souci du stationnement.

Albi pour vous ? Une histoire de fidélité ?

J'ai un rapport charnel avec cette ville. Je me sens profondément albigeois. Je suis fier de porter le maillot de ce territoire et de participer à son attractivité et à son rayonnement. Je suis aussi attaché à mon quartier, la Plaine Saint-Martin.

Une belle rencontre à Pause Guitare ?

Patti Smith, sans hésitation. Cette artiste de renommée internationale, invitée à Albi en 2008, m'a dit avec simplicité : « dites-moi ce que je dois faire, je suis à votre disposition ! »

Comment décompressez-vous ?

Par la rando. Je marche seul, en harmonie avec la nature ; ça me fait beaucoup de bien. La sieste est aussi indispensable pour moi d’autant que je dors peu ; mes nuits sont courtes. J'aime lire aussi ; j'ai le temps car je ne regarde pas la télévision. J'écoute de la musique aussi.

Quels artistes sur votre playlist ?

Ça dépend des moments et de l'humeur. En ce moment, c'est de la musique classique. Je suis fan de la puissance de Chopin et toujours ébahi par la virtuosité de Mozart. J'aime aussi Sati et plus proche de nous Pink Floyd qui s'écoute un peu comme de la musique classique ! J'ai aussi ma période électro et rock.

Êtes-vous musicien ?

J'ai joué de la guitare classique... La première chose que je ferai à la retraite sera d'acheter un piano et d'apprendre à jouer. J'aime le son qu'il procure. C'est assez fascinant.

MINI QUESTIONNAIRE DE PROUST

UN RÊVE ?
Totalement irréaliste : inviter Bruce Springsteen à Pause Guitare !
UN REGRET ?
De ne pas avoir pu recevoir Léonard Cohen, une légende.
UN ARTISTE QUI VOUS A MARQUÉ ?
Adamo. C'est le plus gentil qu'on n'ait jamais reçu. Cali, aussi, un fidèle parmi les fidèles.
À PAUSE GUITARE, VOUS SEREZ OÙ ?
Un peu partout... J'ai compté une fois que je faisais 27 000 pas en une journée de festival ! Je vais voir les bénévoles, les artistes et les partenaires. Je n'arrête pas. Parfois, je me fonds dans le public et je pleure d'émotion. Je suis un grand sensible, mais j’ai appris à le gérer…
DES VACANCES CET ÉTÉ ?
C’est prévu après Pause Guitare. Avec actuellement des journées de quinze heures non-stop, j'aurai effectivement besoin de repos !