Jean-Louis Biget, historien et fin connaisseur d'Albi au Moyen Âge

Historien médiéviste reconnu et membre du Comité de bien de la Cité épiscopale, Jean-Louis Biget est un fin connaisseur d'Albi au Moyen-Âge, un sujet qu'il étudie depuis les années soixante. Il a dirigé notamment Histoire d'Albi aux Éditions Privat en 1983, un ouvrage de référence. Vient de paraître Albi et les Albigeois au Moyen-Âge, son dernier livre aux éditions Archives et Patrimoine. Pour saluer cet engagement, la médaille de la Ville lui a été remise le 24 mars 2023.

Comment est née votre passion pour l'histoire ?

 Je suis entré au lycée de Poitiers en 1947, où je suis resté interne pendant près de dix ans. J'aimais déjà beaucoup l'histoire. Peut-être est-ce la lecture à l'âge de huit ans des Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas qui a décidé de ma voca-tion... J'ai intégré en 1956 le lycée Henri IV à Paris puis l'École nationale supérieure de Saint-Cloud qui prépare les élèves à l'agrégation. C'est là que j'ai découvert réellement le Moyen-Âge. Je dois beaucoup à Jacques Le Goff qui faisait de l'his-toire « new style ». Il m'a donné le goût pour cette période.

Un souvenir fort de votre « histoire » à nous partager ?

Je suis né dans un village des Deux-Sèvres en 1937. Mes parents étaient instituteurs. J'ai d'ailleurs vu le jour dans les bâtiments de l'école ! Pendant la Seconde Guerre mondiale, ma famille s'est repliée dans la campagne poitevine. Mon père, prisonnier de guerre en Poméranie, nous a rejoints en 1941. Je me souviens clairement des Allemands qui passaient sur la route devant la maison. La Libération a été réellement un moment de fête collective comme je n'en ai plus vécu après.

Pour quelles raisons êtes-vous arrivé à Albi ?

J'ai terminé mes études en 1961. J'étais agrégé d'histoire, j'avais 24 ans. Le 7 septembre de cette année, je me suis marié salle des États albigeois avec ma femme qui était originaire d'Albi. Depuis cette date-là, j'ai été pleinement citoyen albigeois car j'ai toujours voté dans cette ville ! Au début, nous avons habité Toulouse ; j'enseignais au lycée Berthelot ; ma femme était professeur de lettres. En 1966, je suis retourné à l'ENS à Saint-Cloud comme professeur, où j'ai enseigné 31 ans ! Parmi mes élèves, j'ai eu l'actuel ministre de l'Éducation nationale Pap Ndiaye.

Un pied à Albi et l'autre à Paris ?

Je vivais l'essentiel du temps à Albi et me rendais chaque semaine pour deux jours à Paris. Je prenais le train de nuit. C'était bien commode et cela m'a permis de rencontrer des gens. J'ai voyagé notamment avec le docteur Pierre Amalric, Robert Pistre (Directeur adjoint de l'École supérieure des Mines NDLR), ou encore le docteur Jean-Pierre Aubry, ophtalmologue réputé qui assurait des consultations à l'Hôtel-Dieu. J'ai même croisé un vendeur du Saut du Sabot qui partait vendre des machettes en Afrique... 

Quelle était votre manière d'enseigner l'histoire ?

J'ai toujours essayé de rendre l'histoire vivante. Nous allions parfois étudier un monument sur place ; c'était concret. À chaque fois, j'invitais mes élèves à comprendre d’abord le contexte de l’époque. On ne peut pas calquer notre vision contemporaine à celle du Moyen-Âge. Au XIIIe siècle, par exemple, il était considéré comme légitime de brûler un hérétique. Il n'y avait pas de contestation. Les bûchers étaient d'ailleurs souvent vécus comme une fête à laquelle la communauté assistait. Ceux qui attaquaient la foi, il fallait s'en débarrasser. De notre point de vue, c'est évidemment choquant ; à l'époque non, mais c’est important de le savoir.

Comment ont débuté vos recherches sur Albi ?

Philippe Wolff, un célèbre médiéviste, m'avait incité à me lancer dans une thèse. Pourquoi pas sur l'histoire d'Albi au Moyen-Âge ? J'ai donc commencé mes recherches en 1964. J'ai pu me baser sur le travail réalisé par mes prédécesseurs. Je pense à Émile Jolibois, premier archiviste du Tarn à qui l'on doit la création de la Revue du Tarn et de la Société des sciences, arts et belles lettres du Tarn. Il y a aussi Auguste Vidal, historien occitan reconnu. Je rends hommage égale-ment à Henri Bru qui a travaillé avec moi au dossier d'inscription de la Cité épiscopale au patrimoine mondial.

Sur quoi avez-vous travaillé particulièrement dans le cadre de votre thèse ?

J'ai beaucoup étudié les comptes et la gestion municipale de la ville d'Albi. Le système fiscal est assez complexe et il m'a fallu notamment apprendre à lire l'occitan, les textes étant dans cette langue ou en latin. J'ai examiné, par exemple, comment on évaluait au Moyen-Âge les biens qu'ils soient mobiliers ou immobiliers et financiers afin d'établir les impôts. J'ai pu constater qu'il y avait déjà de l'évasion fiscale ! Les gens truandaient. Je me suis pris au jeu en examinant en détail les mécanismes employés.

Et la cathédrale d'Albi ?

Je m'y suis intéressé très tôt. Ce monument s'imposait avec son architecture si originale. On parle toujours de celles de Paris, de Strasbourg ou de Chartres, mais il est dommage d'oublier Sainte-Cécile ! À Saint-Cloud, je l'évoquais souvent à mes élèves. Son décor sculpté et peint est exceptionnel. Elle marque l'apothéose de ces édifices en briques qu'on retrouve notamment aux Jacobins à Toulouse, mais aussi à Rabastens ou Gaillac.

Quel souvenir gardez-vous de l'inscription d'Albi à l'Unesco ?

Je dois saluer tout d'abord l'équipe que nous formions avec des agents de la ville et les élus. J'ai été impliqué avec Henri Bru pour travailler sur la partie historique. L'inscription a été une belle récompense et une belle reconnaissance. Pendant longtemps, le patrimoine albigeois n'avait pas été suffisamment mis en valeur. Les nombreuses restaurations, la piétonnisation et de nouveaux aménagements ont redonné vie à ce patrimoine.

Comment envisagez-vous l'avenir en matière de recherche sur Albi ?

Il reste encore des archives à explorer. Nous avons la chance d'avoir l'Institut national universitaire Champollion avec des professeurs qualifiés en histoire du Moyen-Âge, mais il faut espérer de nouvelles vocations, d’autant qu’il y a un réel engouement pour cette période de l'histoire. Il est néanmoins indispensable de maîtriser le latin et l'occitan qui, hélas, ne sont plus très pratiqués à l’école. Je regrette aussi que l'histoire ne soit pas enseignée avec plus de cohérence. Aujourd'hui, le programme est trop chargé et les professeurs se retrouvent obligés de le survoler.

Qu’en est-il de vos recherches ?

Actuellement, elles portent sur l'hérésie cathare en vue de la publication d'un livre relatif à une grande exposition prévue en 2025 à Toulouse. L’hérésie a donné lieu à de nombreuses polémiques entre historiens. Il faut déjà rappeler que le terme cathare apparaît au XIXe siècle et que les hérétiques au Moyen-Âge étaient d'abord des chrétiens. Ce n'est qu'au moment où l'Église décide d'engager un processus d'unification que ceux qui n'étaient pas conformes à la norme ont été définis comme tels. L'histoire n'est donc pas figée ; trop longtemps, on l'a imaginée avec un certain nombre de stéréotypes.

Toujours plongé dans les archives ?

Je ne suis pas un pur esprit, même si je reconnais que le travail intellectuel contribue à me maintenir en forme ! Néanmoins, je suis avec intérêt certains sports. Je suis enchanté de vivre dans une ville de rugby. Dans les années soixante, le XIII vivait ses heures de gloire et le XV était déjà bon avec un certain Bernard Momméja qui jouait en équipe de France. J’ai assisté très longtemps aux matchs au stade Rigaud et au Stadium. Plus jeune, j’avais même joué au rugby ainsi qu'au hand-ball. J'ai d'ailleurs participé à la création du club d'Albi en 1968 ! J'étais gardien de but dans l'équipe. Preuve que je n'étais pas toujours dans les archives !