La Marine nationale évoque l'expédition de Lapérouse

La Marine nationale publie dans son magasine "Cols bleus" Hydrographie 300 ans d'opérations de novembre 2020, un long article dans sa rubrique histoire sur "Le tragique voyage de Lapérouse, la plus importante expédition scientifique de son temps." Un récit qui appartient aujourd'hui à l'histoire albigeoise.
La Marine nationale évoque l'expédition de Lapérouse

Par une nuit noire et venteuse de juin 1788, les frégates Astrolabe et Boussole se jettent à pleine vitesse sur les récifs coralliens de Vanikoro, une île perdue aux confins de la Mélanésie et de la Polynésie. D’une brutalité inouïe, le naufrage met fin à l’ambitieux voyage d’exploration du Pacifique dirigé par Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse.

Ce n’est pas le trait le plus connu de Louis XVI, mais le roi se passionnait pour la Marine et la géographie, à tel point que les récits de Bougainville et de Cook lui inspirèrent le plus ambitieux voyage scientifique jamais organisé jusqu’alors.

En 1783, profitant d’une période de paix avec l’Angleterre, il décide de compléter les travaux de James Cook qui, entre 1768 et 1780, a effectué deux tours du monde avant de perdre la vie lors du troisième.

En effet, depuis les premières découvertes du navigateur britannique, les instruments de navigation ont connu des améliorations notables. Les sextants d’une conception nouvelle et les chronomètres garde-temps devenus fiables permettront de préciser la position des terres reconnues par Cook, tandis qu’on en découvrira de nouvelles.

À l’intérêt géographique de la mission s’ajoutent la météorologie, la géologie, la faune, la flore, la sociologie des peuples rencontrés, plus un inventaire des richesses naturelles exploitables et des pays avec lesquels la France pourrait établir des relations commerciales.

Il ne s’agit ni plus ni moins que de compléter tous les chapitres de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en apportant des réponses à des listes de questions établies par chacune des Académies. Pour répondre à cet ambitieux programme, l’expédition embarque pas moins de dix savants et artistes, deux ingénieurs, un jardinier pour assurer la survie des végétaux prélevés, un horloger pour entretenir les chronomètres, un interprète de russe qui rapportera du Kamtchatka les premiers résultats de l’expédition, soit quinze personnes auxquelles s’ajoutent deux aumôniers aux compétences scientifiques avérées.

À titre de comparaison, Cook avait embarqué seulement un astronome, deux naturalistes, un peintre paysagiste et un dessinateur naturaliste.

L’HOMME DE LA SITUATION

La chance de Louis XVI est de disposer du chef d’expédition idéal en la personne de Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse. Ce capitaine de vaisseau âgé de 42 ans n’est pas seulement un grand marin, il présente aussi des qualités humaines qui font de lui un « parfait honnête homme » du siècle des Lumières. Il prend une part active à la préparation de l’expédition, s’attachant notamment à choisir les meilleurs navires et équipements.

La Boussole et l’Astrolabe sont des frégates armées en flûtes, c’est-à-dire que leur voilure et leur artillerie ont été diminuées pour augmenter leurs capacités de charge et réduire les équipages. Identiques, les deux bâtiments mesurent 41 mètres pour un équipage de 110 hommes.

La mission s’annonce pourtant très difficile, dans la mesure où elle consiste à reprendre en un unique périple de trois ans le travail accompli par Cook en trois voyages échelonnés sur une dizaine d’années. Jusqu’au naufrage fatal, Lapérouse va toutefois y parvenir. Ayant franchi le cap Horn, il remonte le Pacifique vers le nord en passant par le Chili (Talcahuano), l’île de Pâques, Hawaï et l’Alaska (baie des Français). Il redescend ensuite en Californie (Monterey) puis traverse le Pacifique cap à l’ouest.

Il atteint ainsi Manille, Macao et Formose. De là, il fait route vers le nord jusqu’à la presqu’île du Kamtchatka (Petropavlovsk), puis il redescend vers l’Australie en passant par les îles Samoa et Tonga. Après l’escale de Botany Bay (Australie), la flottille passe par la Nouvelle-Calédonie, puis se dirige vers l’île de Vanikoro, où l’attend son destin.

DES NOUVELLES DE MONSIEUR DE LAPÉROUSE

On n’aurait jamais rien su de l’expédition si Lapérouse n’avait pas pris la précaution d’expédier rapports et notes en France chaque fois que l’occasion s’en présentait. Des navires rencontrés à Macao, à Manille et à Botany Bay en emportèrent, tandis qu’à Petropavlovsk, Barthélemy de Lesseps quitta l’expédition pour traverser la Sibérie et l’Europe, jusqu’à Versailles !

La lecture de ces documents laisse une curieuse impression. Comme si, à un moment du voyage, la chance qui avait jusque-là caractérisé la carrière de Lapérouse laissait place à une sorte de malédiction. Celle-ci se manifeste pour la première fois en Alaska, le 13 juillet 1786, dans la baie des Français où deux embarcations chavirent en noyant 21 marins.

Le malheur survient à nouveau dans une île des Samoa, le 11 décembre 1787, lorsque des natifs déclenchent une attaque pendant qu’une embarcation fait aiguade*. Respectueux des ordres qui leur interdisent de faire usage d’armes, les marins répugnent à se défendre. La première victime est Fleuriot de Langle, commandant en second de l’expédition et ami très proche de Lapérouse. On croit savoir aussi qu’en Nouvelle-Calédonie, une attaque d’indigènes oblige l’équipage à réembarquer précipitamment. Et quelques semaines plus tard, dans la nuit noire au large de Vanikoro, la présence insoupçonnée d’une barrière de corail stoppe net le voyage de la Boussole et de l’Astrolabe

DOMINIQUE LE BRUN ÉCRIVAIN DE MARINE