Marie-Christine Jaillet, en vie de ville
Nouvelle présidente du conseil d'administration de l'Institut national universitaire Champollion, Marie-Christine Jaillet est aussi directrice de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la ville. Un sujet qu'elle étudie depuis les années 70.
Elle aurait aimé être égyptologue, explorer des nécropoles antiques à la recherche de momies et d'autres vestiges d'une civilisation disparu... Elle a finalement opté pour l'exploration sociale et urbaine de nos villes et de ceux qui y vivent. Les pieds sur terre et animée par la recherche, elle examine depuis plus de quarante ans les transformations urbaines et leurs effets. "J'ai pris goût à vouloir comprendre la société contemporaine en évitant les stéréotypes", explique-t-elle tout en précisant que son engagement dans l'éducation populaire et la formation notamment au sein des Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (CEMEA) lui a sans doute beaucoup apporté dans son cheminement à la fois de scientifique, de militante et de citoyenne.
- Une aventure humaine autant que scientifique
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Marie-Christine Jaillet commence ses études à l'université de Lyon, sa ville natale. Inscrite en histoire-géographie avec une dominante géographie sociale et urbaine, elle suit en parallèle un cursus en sociologie. "J'ai toujours aimé l'université car je rêvais de liberté, en ayant la possibilité de choisir mes sujets d'étude." Elle poursuit à Toulouse en maîtrise puis en doctorat et intègre à 21 ans le Centre interdisciplinaire d'études urbaines (CIEU) créé par un géographe et un sociologue à l'université de Toulouse II-Le Mirail. Une structure qui va lui offrir de belles perspectives : "Cet espace est pleinement un lieu de pratique du débat et de la diversité. Il a été pour moi très formateur. La recherche y est ouverte sur la dimension sociale." Dans ce cadre, elle collabore avec de nombreux collègues de toute la France, avec les élus, agences d'urbanisme, collectifs de citoyens ou encore des bailleurs... "C'était avant tout une aventure humaine faite de rencontres, d'apprentissage du rapport à l'autre, de remise en question aussi."
Pour son mémoire de maîtrise, le sujet porte sur le thème de l'habitat dans un lotissement. Un clin d'oeil à son propre vécu, ses parents ayant déménagé de leur cité HLM pour une maison individuelle en périphérie de Lyon. Pour sa thèse, elle étudie les constructeurs de maisons pavillonnaires qui règnent en conquérants en périphérie des villes. Un sujet toujours d'actualité avec la problématique de l'imperméabilisation des sols et de l'étalement urbain. La chercheuse reste néanmoins lucide : "beaucoup plébiscitent encore le modèle pavillonnaire".
- Modes d'habiter à la loupe
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Après ses études, elle est recrutée au CNRS et décide de faire de l'université de Toulouse II-Le Mirail (aujourd'hui université Toulouse Jean-Jaurès) son port d'attache, où elle enseigne en parallèle de ses recherches autour de l'aménagement urbain. Ses cours portent sur les modes d'habiter, les modes de vie en ville, l'histoire du logement social et la politique de la ville sur le fond de crise économique, de précarité et de ghettoïsation des cités. Dans les années 80/90, elle est d'ailleurs amenée à se pencher sur les quartiers d'habitat social d'Albi. "La ville était reconnue pour avoir réussi ses opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah Ndlr) y compris en centre-ville."
En a-t-elle déduit, elle aussi, qu'il n'y a de bonheur que loin des centres urbains ? Sur ce point comme dans d'autres, elle évite les raccourcis et les explications trop simplistes. Si elle a un pied à terre dans un village du Lot et à Cahors, reconnaissant les bienfaits de la campagne, elle se bat contre un discours post-urbain. "Ce serait passer sous silence ce que la ville a permis au fil des siècles : pouvoir notamment s'abstraire du contrôle du village, se confronter à la différence, à l'échange. La ville est un lieu de liberté, d'opportunités et de diversité. Pour faire face aux problèmes auxquels elle est confrontée et la rendre (toujours) plus habitable, la ville expérimente. Elle réintroduit la nature, réduit son empreinte carbone, se veut plus sobre, soutient les circuits courts, imagine de nouveaux modèles d'urbanisation... L'idée n'est pas de faire table rase du passé, mais sans doute d'adapter l'existant."
Autrement dit, restons humbles, évitons les utopies. De quoi réapprendre à vivre en ville et à lutter contre la tendance au repli et à l'individualisme.
- Un pôle universitaire ancré dans son territoire
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Alors que la rentrée universitaire bat son plein, Marie-Christine Jaillet a pris ses fonctions de présidente du CA de l'établissement albigeois, une instance d'une quarantaine de membres qui se réunit quatre fois par an. "L'INU Champollion a une histoire que je connais bien pour avoir côtoyé ceux qui ont contribué à sa création. L'idée, à l'origine, était de permettre à des jeunes d'accéder à l'enseignement supérieur. L'INU est aujourd'hui ancré dans son territoire et contribue pleinement à son attractivité et à son développement, preuve que l'innovation et la recherche ne sont pas le fait que de métropoles ! En matière d'études sur les villes moyennes, par exemple, Champollion compte des professeurs reconnus à l'échelle nationale. La recherche permet de mieux comprendre ce qui se passe dans la société et aide les acteurs publics à réfléchir aux actions à mener."
À la retraite depuis bientôt un an, Marie-Christine Jaillet n'a pour autant pas rendu son tablier. Toujours engagée dans le milieu de recherche, elle coordonne depuis 2023 la Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (POPSU) et préside le Conseil scientifique du comité d'histoire de la politique de la ville. Attachée au quartier de la Reynerie, près du Mirail, où elle vit, elle poursuit ses travaux "mais à un rythme différent", précise-t-elle. "Les enjeux aujourd'hui portent clairement sur la ville de demain, notamment les métropoles, face à la transition socio-écologique. Son devenir dépend de sa capacité à nourrir des relations avec les territoires voisins avec lesquels elle est interdépendante. C'est le cas pour Albi et Toulouse, par exemple." Son élection au CA de Champollion constitue déjà une belle passerelle.
- Une rencontre
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Ma rencontre avec une communauté universitaire, celle de Champollion, où l'on croise des collègues heureux d'être là et d'y travailler, qui font la démonstration que l'on peut y enseigner et répondre aux critères de "l'excellence académique".
- Un lieu
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Le campus Champollion. De nombreuses villes ont connu la fermeture de casernes, héritant ainsi d'un patrimoine à réhabiliter et à transformer au risque qu'elles deviennent des friches urbaines. C'est ce qui est arrivé à la ville d'Albi, dont les édiles ont eu le projet un peu fou de créer une université.
- Un objet
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Ce très bel album BD intitulé "Je n'ai pas oublié. Histoires de la Shoah par balles", exemplaire à plus d'un titre d'un travail sur la mémoire mené par des étudiants albigeois qui, accompagnés par leurs enseignants-chercheurs, vont à la rencontre des derniers témoins de cet événement historique méconnu.
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