Vincent Lemaire, président du groupe Safra
Vincent Lemaire
© Tchiz
Président du groupe albigeois Safra, dont l'une des sociétés est le plus petit constructeur d'autobus au monde, Vincent Lemaire promeut l’innovation avec une vision engagée dans le développement durable.
« Les écoles d'ingénieurs disent souvent à leurs élèves : vous changerez de boîte au moins dix fois au cours de votre vie. » Vincent Lemaire qui rapporte cette anecdote, vient démentir l'affirmation. Celui qui a fêté sa trentième année au sein du groupe Safra n'a d'ailleurs jamais envisagé de quitter le navire. Depuis 2007, il en est même le capitaine. « Je suis arrivé un peu par hasard », avoue t-il quand il s’agit de raconter ses débuts à Albi. Après trois ans à l'École nationale supérieure d'arts et métiers et une année sous les drapeaux au service technique des Sapeurs-pompiers de Paris, le jeune ingénieur recherche un employeur. « À cette époque, la crise économique n'était pas favorable au recrutement. » Il examine en détail le Top 1000 des entreprises d'Occitanie, une brochure de référence, et envoie des centaines de candidatures spontanées comme autant de bouteilles jetées à la mer. « Ma lettre est parvenue dans les mains de Serge Bodoira, qui était PDG de Safra. Il était curieux de me recevoir. » Très vite, Vincent Lemaire devient son bras droit opérationnel avec une réelle polyvalence, gérant tout à la fois le technique, le commercial, le social et l'administratif.
« Safra était bien ancrée au niveau local, mais devait voir plus grand et plus loin. » Vincent Lemaire comptait bien relever le défi.
Le goût du challenge et de l'aventure industrielle caractérise bien le patron de Safra. « J’essaye toujours de trouver des solutions même quand, de prime abord, elles n'existent pas. Par le passé, Safra a montré à plusieurs reprises qu'elle pouvait s'adapter. » Alors qu’il vient à peine d’être nommé PDG du groupe quelques mois auparavant, Vincent Lemaire se souvient de ce 17 septembre 2007, où une tempête de grêle s'abat sur Albi. « Il a fallu improviser d'autant que l'entreprise avait subi d'importants dégâts. Il nous a fallu deux ans pour absorber les milliers de véhicules endommagés. » Quinze ans plus tard, Safra dispose d'une équipe mobile prête à intervenir en France en cas de grêle.
Jamais dire non !
La crise sanitaire du Covid, maintenant la guerre en Ukraine, le changement climatique, l’actualité ne laisse guère de répit... Question environnement, Vincent Lemaire a été visionnaire en misant sur l'hydrogène dès le début des années 2000. « C'est un professeur d'IMT Mines Albi qui m'en avait le premier parlé. J'avais eu l'occasion également de visiter le Centre recherche et technique de Michelin dédié à la pile à hydrogène. » Une voie était ouverte, mais la concurrence reste rude. Safra est certes le plus petit constructeur d'autobus au monde, elle est aussi la seule à assembler en France des autobus à hydrogène.
Le petit poucet est face à des géants et se positionne résolument comme une start-up. « Quand un client nous a indiqué qu'il aurait préféré un bus avec trois portes et un plancher plat, nous avons totalement revu notre copie et imaginé le Hycity. »
Safra ne met pas non plus tous les oeufs dans le même panier. La transformation d'autocars diesel en véhicules à hydrogène (retrofit) est désormais une nouvelle offre qui a séduit la Région Occitanie.
Si Safra ne cache pas ses ambitions, elle se montre aussi opportuniste. En termes de capacité d'adaptation, Vincent Lemaire a quelques anecdotes en mémoire comme celle de la coupe du monde de football de 98. « Raymond Boisson avait sollicité Safra dans le but de fabriquer des remorques en forme de canette de Coca-Cola. » La célèbre marque d'Atlanta était même venue à Safra : il fallait en produire 200 ! « Comme on n'aime pas dire non, on s'est lancé ! Pari gagné ! » En termes d’agencement, Safra a depuis à son actif de belles réussites comme la salle de spectacles du Grand Théâtre à Albi.
Contrats sur terre et sous mer
L'homme reconnaît être un gros travailleur voire un hyperactif assumé ; en témoignent à portée de main son smartphone, sa tablette et son ordinateur portable. Ses journées sont longues, mais il sait aussi se déconnecter avec la course à pied et la natation. « La méditation, c'est pas mon fort ! » Malgré un agenda serré, Vincent Lemaire se déplace beaucoup, aiguise sa curiosité, participe à des rencontres thématiques sur des sujets de société. « C'est important de connaître les tendances, les attentes des clients, l'émergence de nouvelles technologies. »
Pour rester compétitif et innovant, il faut donc oser... quitte à se tromper et à apprendre de ses erreurs. « Cela crée une véritable émulation au sein de l'entreprise. Cela nous oblige aussi à penser autrement, à nous projeter. »
Exemple dans les années 2000, lorsque Safra, spécialisée plutôt dans la rénovation de bus, est sollicitée pour donner une seconde vie aux trams de Saint-Étienne. « Même si nous n'avions jamais fait dans le ferroviaire, Safra s'est battue pour obtenir le marché et a remporté la bataille. Cela a constitué une nouvelle étape dans la diversification de l'entreprise. » D'autres contrats, parfois insolites, ont suivi comme la rénovation des véhicules automatiques filoguidés circulant sous la Manche dans un tunnel de service ou encore des rames du métro de Marseille et d'un funiculaire. Depuis peu, Safra est en charge de la rénovation des trains SNCF d'Occitanie.
Quant à la décision d'arrêter, d'ici 2035, la production des véhicules thermiques, Vincent Lemaire la voit comme une nécessité. « Il nous faut sortir des énergies fossiles c'est essentiel. Le véhicule électrique fonctionnant à l'hydrogène a toute sa place à prendre. »
Le marché, on le sait, est encore limité. Pour autant, l'Albigeois est optimiste et voit Safra à l'horizon 2030 comme un acteur important dans le secteur du véhicule hydrogène et une industrie ouverte à l'internationale.
Albigeois de cœur
Qu’on se rassure, l'entreprise est albigeoise et le restera. Un des défis auxquels s'attelle Vincent Lemaire aujourd'hui est bien le recrutement de nouveaux employés avec une volonté affirmée d'ouverture et de mixité. L'entreprise compte environ 300 salariés et prévoit d'ici 2025 d'en recruter 400. « Le projet de créer des véhicules de nouvelle génération peut attirer des talents. Les gens recherchent aussi des entreprises avec lesquelles partager des valeurs communes. » Albi a aussi des atouts pour séduire. « C'est une ville formidable. Quand cela est possible, nous essayons toujours d'aller faire un tour avec nos clients au centre-ville. »
Dans le milieu de l'hydrogène, Albi est bien identifiée sur la carte. « Nous avons accueilli en 2021 à Safra le premier Conseil national de l'hydrogène chargé de la mise en œuvre du développement de l’hydrogène vert. »
Pour Vincent Lemaire, tout est question de temps : ce n'est pas pour rien que Safra se présente comme un « accélérateur de mobilités décarbonées ». « En matière d'hydrogène, la France n'est pas en avance. Il faut donc aller vite et ne pas perdre de temps », déclare-t-il tout en regrettant parfois des lenteurs institutionnelles. Il se réjouit néanmoins du projet de Centre des mobilités nouvelles prévu au circuit d'Albi et du dynamisme d'H2 Team dans lequel Safra est un partenaire et un actionnaire de la première heure. En route pour de nouvelles aventures.
■ AM253 - SEPTEMBRE 2022
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